Sénateur Hervé Maurey, Professeur Yves Crozet : Regards croisés sur le financement de l’entretien des routes

Riche d’un patrimoine routier de plus d’un million de kilomètres, la France voit pourtant son réseau nettement se dégrader depuis plusieurs années.

La question du financement de l’entretien des infrastructures routières est au cœur du débat.

 Invités par le SER lors de son Assemblée générale, Hervé Maurey, Sénateur de l’Eure et Yves Crozet, Professeur en économie des transports, sont intervenus pour présenter des pistes de financement possibles.

Auteur du rapport d’information intitulé « Les infrastructures routières et autoroutières : un réseau en danger » publié en Mars 2017 au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, le Sénateur a d’abord présenté les principales conclusions de ce travail collectif. Estimant que la route est « un sujet finalement assez peu abordé », Hervé Maurey a tenu à rappeler que « la route est un formidable atout pour la mobilité et pour le développement économique et l’aménagement du territoire. »  

Le Sénat tire la sonnette d’alarme

Son rapport met en évidence un constat alarmant : « Si le réseau routier français a longtemps été exemplaire et remarquable, il commence à se dégrader » (cf chiffres clés en encadré) déplore le Sénateur. Comparant le patrimoine routier au réseau ferroviaire qui s’est également détérioré « parce que les gouvernements ont préféré investir dans les villes nouvelles », Hervé Maurey a souligné que le manque d’entretien génère, in fine, un surcoût de remise en état considérable : « plus on tarde à entretenir, plus ça coûte cher. Si on ne met pas 1 euro aujourd’hui, on mettra 10 euros demain ». Le Sénateur a également rappelé que la dégradation du patrimoine routier impacte directement la mobilité des usagers, créant des ralentissements et des restrictions de la circulation.

La baisse des dotations met le réseau routier en danger

Comment en est-on arrivé là ? Première cause évoquée dans le rapport : la baisse des crédits de l’Etat consacrés à la route, qui sont passés de 500 M€ en 2009 à 300 M€ en 2012. Concernant les autoroutes, où la situation est moins préoccupante, Hervé Maurey appelle tout de même l’Etat à rester vigilant sur  l’entretien du réseau : « il est important que l’Etat contrôle ses concessionnaires en matière d’entretien, notamment dans la perspective de la fin des concessions, prévu en 2030. Un bilan complet de l’état des autoroutes sera réalisé en 2023 ». Le réseau départemental, quant à lui, a subi les conséquences d’une forte diminution des budgets consacrés à la route, les départements ayant concentré leurs investissements sur d’autres priorités : la baisse des dotations de l’Etat, le co-financement de certaines infrastructures routières, l’explosion des dépenses sociales et le déploiement du réseau numérique sur les territoires sont « autant d’argent qui n’est pas investi par les départements dans les routes ».

« L’abandon de l’éco-taxe a été calamiteux »

Hervé Maurey juge nécessaire « d’octroyer aux routes le plus rapidement possible des crédits pérennes, notamment au travers de l’AFIT. Le Ministère considère qu’il faudrait au moins 110 M€ par an supplémentaires pour rattraper le sous-investissement des dernières années ». A ce titre, le Sénateur pense que « l’abandon de l’éco-taxe a été calamiteux » puisqu’elle devait rapporter 760 M€ par an à l’AFIT et 160 M€ aux départements. « L’éco-taxe était un système vertueux qui permettait de faire un lien entre l’usager et le financement, tout comme la SNCF Réseau perçoit une redevance de la part de l’usager en fonction de l’utilisation de son réseau ». Considérant qu’il s’agit d’une « piste essentielle » Hervé Maurey estime pourtant que l’éco-taxe a peu de chance d’être remise en débat « la plupart des équipements ayant été démontés ».

Concernant les plans de relance autoroutiers lancés en 2015, Hervé Maurey déplore le manque de transparence de l’Etat sur ses relations avec les sociétés d’autoroute et les résultats concrets de ces investissements. « Sur les 3.3 milliards d’euros engagés, 55% étaient censés aller aux PME et aux ETI et créer 10.000 emplois. Mais malgré mes multiples relances, le Parlement a assez peu de vision sur ce qui a été fait réellement». Enfin, le plan d’investissement autoroutier, présenté en Janvier 2017, prévoit 800 M€ et la création de 5000 emplois : ‘’Il  est trop tôt pour juger de ses effets. Nous continuerons de suivre ce plan de très près au Sénat, notamment pour nous assurer qu’il profite aussi aux PME et pas uniquement aux sociétés d’autoroute ». Le Sénateur a conclu son intervention en précisant que le chantier d’ouverture des données, engagé en 2016 par l’Observatoire National de la Route (ONR) permettra, à terme, de collecter plus d’informations sur le réseau routier et de « programmer les dépenses nécessaires de manière pluri-annuelle ».

« Professeur Yves Crozet : beaucoup d’argent est pris sur la route mais ne revient pas à la route »

Yves Crozet, Professeur en économie des transports à l’Université de Lyon, a ensuite pris la parole pour questionner le sujet du financement des infrastructures routières : « La situation de la France, c’est comment faire quand on est riche et que l’on est fauché ? » . Le Professeur a rappelé en effet que la France investit 1% de son PIB dans les infrastructures de transport, soit deux fois plus qu’en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Bien que « l’Etat qui récupère 40% du chiffre d’affaires des autoroutes », Yves Crozet déplore la dégradation du patrimoine routier français, et les disparités constatées selon les réseaux : « les autoroutes sont en excellent état mais les routes communales ont un grand problème de financement, surtout lorsqu’elles ne bénéficient pas du soutien des Départements ».

L’avis d’Yves Crozet est plus contrasté sur l’éco-taxe, créée selon lui « pour financer de mauvais projets, comme la liaison Lyon-Turin. ». Le professeur estime plutôt que l’enjeu principal est celui de l’affectation des budgets. « La route est la seule infrastructure de réseau que l’on peut utiliser sans payer. L’eau est payante mais la route est gratuite ! Beaucoup d’argent est pris sur la route : la TICPE, les cartes grises, les taxes sur les assurances rapportent plus de 40 milliards d’euros par an. La route peut payer, mais cet argent n’est pas affecté à la route.»

« Il faut une vignette pour financer l’entretien des routes, comme en Allemagne »

Pour financer l’entretien des routes, le Professeur Crozet propose de mettre en place une tarification de la route. Par exemple réinstaurer une vignette pour les voitures et les camions « allant de 50 à 1.000 euros sur l’année, en fonction du calibre du véhicule afin que tous les usagers paient pour la route. Ce serait aussi une formidable occasion pour Monsieur Hulot de verdir la fiscalité. ». L’Allemagne a ainsi mis en place une taxe pour les poids lourds et une vignette (Steuer) qui rapportent respectivement 4.5 milliards d’euros et 8 milliards d’euros par an. En conclusion, le Professeur Crozet estime que tout l’enjeu est de contractualiser ce projet avec les collectivités et d’expliquer aux usagers pourquoi la route doit être tarifée de la même manière que l’électricité ou le téléphone « avec un abonnement et des consommations, car la route est un mode de transport dominant, et qui le restera longtemps. »

 

Chiffres clés : Un réseau routier qui se dégrade et des dotations en baisse

 

Le patrimoine routier français :

 

  • Ÿ11 560 km d’autoroutes,
  • Ÿ9640 km de routes nationales,
  • Ÿ378 973 km de routes départementales,
  • Ÿ673 000 km de routes communales 

 

Le % de chaussées du réseau en bon état est passé de 85 à 83% de 2009 à 2012

La note moyenne de l’état du réseau est passée de 16.8 en 2009 à 16.3% en 2012

 

Crédits de l’Etat consacrés à la route :

500 M€ en 2009 contre 300 M€ en 2012, soit une diminution de 200 M€ en 3 ans

 

 

Télécharger le rapport d’information du Sénateur Hervé Maurey : « Les infrastructures routières et autoroutières : un réseau en danger » - Mars 2017