Les équipements de la route au coeur des écosystèmes routiers: ruptures, continuités, réinventions, transitions.

C'est à l'occasion de l'AG du SER, qui s'est tenue le 23 mai 2019 à la Maison des  Polytechniciens, que l'universitaire Mathieu Flonneau a présenté les grandes lignes et l'avancement d'un projet de livre sur les équipements de la route.

Un ouvrage ambitieux,  global et grand public qui racontera l'histoire de ce monde, son écosystème et son patrimoine, sa culture et ses révolutions, ses métiers et ses hommes.

 

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.


Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,


Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

 

C'est par une ode à la nature du poète Charles Baudelaire que Mathieu Flonneau, maître de conférence à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, a introduit son exposé ce jeudi 23 mai. Il y a vu là une métaphore tout à fait à propos, celle d'une route faite de symboles, familière et propice aux « transports de l'esprit et des sens ». L'objet de cet exposé était la présentation d'un travail en cours, celui d'un projet de livre traitant de l'histoire des équipements de la route, leurs rôles et leur persistance dans les écosystèmes mobilitaires. L'ouvrage, commandité par le SER, avec le concours de l'ASQUER et dont la sortie est prévue courant 2020, permettra selon Aly Adham de « garder en mémoire l'histoire des équipements et des infrastructures routières et de l'exposer au grand public ». Le matin même, sous les auspices et les plafonds dorés de la Maison des Polytechniciens, le président du SER a été réélu à l'unanimité par les membres du syndicat pour un troisième mandat consécutif.

Spécialiste des questions de mobilités, des transports, de la construction de l'espace public et de « l'automobilisme », Mathieu Flonneau a débuté sa présentation en rappelant qu'il était nécessaire d'inscrire l'objet de cette étude, les équipements de la route et leur histoire, dans un cadre plus général, celui d'un écosystème mobilitaire. Au sein de celui-ci, un ensemble d'acteurs, de commanditaires, de gestionnaires, de métiers et d'usagers, des intérêts économiques, des cultures et des logiques qu'il s'agira d'analyser et d'expliquer. « Nous ferons ainsi appel à des notions assez familières à l'historien, des notions de rupture, mais aussi de continuité, a expliqué l'universitaire. Il y a aussi des transitions, dans lesquelles vous et vos sociétés êtes toutes et tous engagés. Et puis, enfin, il y a des réinventions ». L'ouvrage qui verra prochainement le jour est donc voulu ambitieux, englobant, précis autant que pédagogique et grand public. « Limiter le sujet à quelques panneaux serait faux », a insisté Mathieu Flonneau. Le titre, provisoire, de ce livre en préparation : « En tout sens ! ».

Des métiers et des hommes

Amené à visiter les infrastructures de plusieurs sociétés adhérentes du SER mais aussi à interviewer tous les acteurs de l'écosystème, l'auteur raconte avoir été surpris par la façon dont ce qui pourrait sembler aller de soit – la fabrication d'objets aussi courants et familiers que les panneaux, le marquage au sol, les feux tricolores, glissières de retenue, etc. – était le fruit d'un haut degré de technicité. Le fruit, aussi, d'une nécessité, à un moment de l'histoire, chaque équipement répondant, à une époque donnée et dans un contexte donné, à un besoin précis, s'inscrivant ainsi dans une histoire, industrielle, économique, sociale, culturelle, mais aussi des usages et des mobilités. Ces histoires de la grande Histoire, l'auteur entend les raconter selon plusieurs niveaux d'analyse induit par les différentes échelles du monde de la route, « un monde à la fois clos et ouvert, local et universel ».

Au cours de ses visites et entretiens, Mathieu Flonneau raconte qu'il a relevé la récurrence de certains mots clés, traductions pour beaucoup de ce qui fonde les métiers des équipements de la route, les principes et les engagements de ceux qui les exercent. « Le premier, c'est la sécurité routière, la protection des usagers de la route. Après, il y a les tensions autour de l'espace public, de l'aménagement, des grands réseaux linéaires et de leur entretien. Le lien au sens, au territoire, aux saisons, aux hommes et à leur travail. L'innovation est naturellement très présente aussi, les défis liés aux générations des équipements, les préoccupations environnementales et écologiques, celles liées au territoire et au patrimoine routier. Et puis, il y a aussi une dimension économique, de rationalité, c'est à dire que la commande publique, la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise d'ouvrage font partie de l'équation quotidienne des acteurs du monde des équipements de la route ».

Ce monde des équipements de la route, l'universitaire l'inclut dans celui de monde routier, mais aussi dans celui de l'automobilisme. Car il s'attachera à révéler et expliquer les passerelles qui unissent ces mondes, l'ouvrage traitera évidemment des territoires. Celui de l'Hexagone bien sûr, mais aussi de ses territoires d'outre-mer, ses marchés, comme autant d'écosystèmes évolutifs qu'il convient de prendre en compte.

Vers une réflexion globale

C'est ainsi une réflexion non pas seulement technique sur les équipements de la route, les domaines qu'ils convoquent et les enjeux qu'ils induisent, mais une réflexion globale, à 360° que se livre Mathieu Flonneau : « une réflexion d'écosystème qui va lier le local et l'universel ». Seront abordées dans l'ouvrage des problématiques sociales, à travers la forme de violence dirigée à l'encontre des équipements de la route pouvant devenir – par exemple dans le cadre du mouvement des gilets jaunes et/ou de l'opposition au 80km/h – l'objet-symbole et l'exutoire d'une contestation de l'État régalien et du rejet d'un modèle capitaliste.

S'intéresser à l'écosystème des équipements de la route c'est aussi convoquer les notions de transition et de rupture. C'est contextualiser le propos en évoquant la Loi d'Orientation sur les Mobilités (LOM), toujours en discussion et qui s'ajoute à bien d'autres grands débats antérieurs portant notamment sur les questions de financement de la route. C'est interroger, par exemple, la résistance du réel face au virtuel. « À l'heure du 3.0 et bientôt du 4.0, qu'en est-il de la chaussée, de la persistance du réel à l'âge du cloud ? », a questionné ainsi Mathieu Flonneau qui n'omet pas d'aborder la question du patrimoine et de ce qui le définit, de son entretien, de sa modernisation et de la desserte du territoire dans le contexte du déploiement prochain des véhicules autonomes car, dit-il, « les routes ne sont pas délocalisables ».

Si à une époque les équipements servaient à accélérer sur la route et que le monde de l'automobile ventait l'art de la conduite, ils sont aujourd'hui des outils de fluidification du trafic, de sécurisation, poussant plutôt les usagers à ralentir et à partager harmonieusement leur environnement commun. Participant à faire émerger de nouveaux usages de la route, ces mêmes équipements ont aussi connu des révolutions permises par d'autres types d'usages, le tourisme en premier lieu, entraînant une diversification profonde des signalisations.

Pour étayer son propos mais aussi inscrire l'ouvrage en gestation dans la longue histoire de le littérature de la route, Mathieu Flonneau a convoqué les travaux de ses pairs. Ceux de Marina Duhamel (La signalisation routière en France de 1946 à nos jours et Un demi-siècle de signalisation routière naissance et évolution du panneau de signalisation routière en France, 1894-1946) à ceux d'André Guilherme (Corps à corps sur la route). Mais aussi le célèbre, très laïque et républicain Tour de la France par deux enfants d'Augustine Fouillé,  inscrivant l'univers de la route dans une certaine mythologie française. Enfin, il a évoqué ses précédents travaux, Les cultures du volant, L'automobile au temps des Trente Glorieuses, Choc des mobilités : Histoire croisée au présent des routes intelligentes et des véhicules communicants, comme autant de jalons bibliographiques.

Un patrimoine riche à inscrire dans l'Histoire

Tout au long de son exposé, Mathieu Flonneau a insisté sur la notion de patrimoine, celui de la route mais aussi de ses équipements. Un patrimoine qui implique une démarche de conservation, à l'image de celle de l'Association pour un Musée du Patrimoine du Ministère de l'Équipement qui  a oeuvré à la création du Musée des ponts et chaussées à Vatan. Il a rappelé le succès de l'exposition « Routes Mythiques » lors du Mondial de l'auto 2018, dont le SER était partenaire et a contribué à jalonner l'ambitieux parcours d'une dizaine de sections chronologiques et thématiques. « À tous ces égards, nous avons quelque part accompli cette fameuse Fête de la Route, planifiée dès 1937 et qui aurait dû avoir lieu au Grand Palais. 500.000 visiteurs sont venus en 10 jours ! », s'est réjouit à nouveau Mathieu Flonneau.

Raconter l'écosystème des équipements de la route, c'est bien sûr raconter l'automobilisme et son histoire. De la familiarisation de l'automobile, d'abord tantôt jugée diabolique tantôt magique, à sa domestication puis sa démocratisation durant les Trente Glorieuses, synonymes d'augmentation exponentielle des flux et de l'émergence et la diversification de nouveaux modes de vie (déplacements domicile-travail) qui donnèrent lieu à l'émergence des grands réseaux nationaux. Puis, c'est l'entrée, il y a une quarantaine d'années dans une ère de la régulation des infrastructures routières, plus active et plus intense, une ère de l'exploitation véritable. Aujourd'hui, alors qu'il s'agit plus de décourager l'automobiliste que de l'encourager, naissent de nouveaux usages qui nécessitent d'être balisés, encadrés et sécurisés, poussant les métiers des équipements de la route à innover, à se diversifier, à se réinventer.

La conférence s'est conclue sur un échange avec l'assemblée au cours duquel il a été rappelé l'importance de l'aspect humain dans les métiers et l'histoire des équipements de la route. Mais aussi leur rôle d'interface avec les autres modes de transport, terrestres, aériens, maritimes. Dans son intervention finale, Aly Adham a tenu à insister sur ce moment charnière que vit actuellement le monde de la route : « Car nous devons aujourd'hui répondre à des problématiques majeures, je me réjouis d'avoir vu tant de nos partenaires ici. Je nous souhaite à tous, pour cette année et celles à venir, beaucoup d'échanges, de dialogue et de travail ».