Gestion du patimoine des équipements de la route : coûts, bénéfices, outils et méthodologie

Si la France est l’un des pays les mieux dotés au monde en matière de réseaux routiers, ceux-ci se dégradent d’année en année, à mesure que les budgets alloués à leur entretien ne cesse de diminuer. Malgré tout, une bonne gestion de ce patrimoine et de ses équipements est possible grâce à des outils et une méthodologie adaptés.

Plus d’un million de kilomètres de routes (autoroutes concédées, routes nationales, départementales et voies communales) maillent le territoire français. Or, une route sur deux n’est pas marquée en France et 30 à 40 % des 25 millions de panneaux de signalisation ont aujourd’hui dépassé leur durée de vie et ne sont plus conformes à la réglementation.
Le patrimoine des équipements de la route français est vieillissant.
Alors que les budgets départementaux alloués à la route et à ses équipements ne cessent de baisser depuis le début des années 2000, l’entretien de ce patrimoine, qui assure la circulation des hommes et des marchandises, mais aussi l’attractivité touristique et économique des territoires, apparaît comme un enjeu majeur dont les collectivités et les gestionnaires d’infrastructures doivent se saisir au plus vite.

Réappropriation du patrimone routier

Bien gérer son patrimoine routier induit nécessairement une connaissance fine et actualisée de celui-ci : sa taille, ses spécificités, son état, ses infrastructures, ses équipements. « La première étape vers cette connaissance et cette maîtrise consiste à mettre à jour un référentiel cartographique qui, s’il existe, doit être consolidé », insiste Jean-Yves Santigny, directeur des services techniques territorialisés au conseil départemental de la Côte-d’Or.
Ainsi, un repositionnement précis des routes en fonction du bornage routier, puis l’identification des éléments qui composent la route par nature d’activité (signalisation horizontale et verticale, dispositifs de retenue routiers, feux tricolores, ouvrages d’art, talus, arbres...) doivent conduire les gestionnaires et collectivités territoriales à « se réapproprier leur patrimoine », explique le directeur des services techniques.
En Côte-d’Or, les services techniques ont recours à des technologies de lecture de la route et de relevé de patrimoine leur permettant, grâce à un ensemble de mesures et de photos HD géolocalisées et orthonormées, d’alimenter au quotidien leur système d’information géographique (SIG), véritable base de données dynamique sur l’état de leur patrimoine routier. À chaque intervention sur les infrastructures routières, opération de maintenance et nouveaux chantiers, un reporting automatisé est réalisé. « Cela nous permet d’empiler dans une unique base de données un grand nombre d’informations que nous pouvons consulter ensuite par nature d’activité », indique Jean-Yves Santigny.
« L’enjeu consiste à regrouper l’ensemble de ce qui est aujourd’hui à notre disposition en termes techniques pour arriver à connaître, de manière ordonnée, précise et exhaustive, notre patrimoine routier et ses équipements. »

Prévenir pour mieux maintenir

La période de disette budgétaire actuelle pousse les collectivités territoriales, gestionnaires de leurs routes et équipements, à optimiser au maximum les deniers publics accordés à l’entretien des infrastructures routières. L’intégration du diagnostic dans la gestion du patrimoine routier prend donc une importance majeure. À titre d’exemple, les gestionnaires allemands, notamment les communes, intègrent la partie diagnostic dans la logique même de décision : chaque intervention sur les infrastructures routières et leurs équipements est réalisée sur la base d’éléments issus de diagnostics suivis et réalisés de façon pluriannuelle. L'évaluation contribue ainsi à valider des indicateurs et des niveaux d’état des équipements et de piloter chacune des actions de maintenance selon un phasage précis et établi dans le long terme.

Dans le cas de la signalisation horizontale, un outil compact, l’Ecodyn, qui mesure en continu la visibilité diurne et nocturne des marquages routiers, permet de s’assurer que le niveau de service rendu par ce même  marquage est satisfaisant, respecte les normes et garantit la sécurité des usagers. Les gestionnaires de patrimoines routiers y ont toutefois de moins en moins recours et souvent dans de mauvaises conditions, externalisant la prestation à des prix bradés qui ne garantissent pas toujours de récolter des données fiables.
Pourtant, ce type d’outil est inhérent à la mise en place d’un cercle vertueux. Outre-Rhin, si les prestations de diagnostics coûtent en moyenne trois fois plus cher que dans l’Hexagone, leur fiabilité n’est plus à démontrer. Elles contribuent, à moyen comme à long terme, à réaliser d’importantes économies en prévenant les dégradations à venir du patrimoine routier. En France, à ce jour, il n’existe encore aucun organisme permettant, non pas de certifier les équipements de la route à leur sortie d’usine – c’est l’Ascquer qui en est chargée –, mais d’en assurer le suivi une fois installés sur et autour des infrastructures routières. En Allemagne, où le recours aux prestations de diagnostic de l’état de vieillissement des équipements de la route est plus répandu, la démarche se veut globale. Ainsi, un organisme public, le Bast, est chargé de contrôler régulièrement les appareils d’auscultation de l’état de la route et de ses équipements, certifiant ainsi la fiabilité des mesures recueillies.

L’équation est simple : anticiper l’entretien des équipements en identifiant en amont leur niveau réel de performance et de vieillissement pour, enfin, optimiser les coûts de maintenance à venir. De l’avis des professionnels du secteur, tant que le diagnostic ne sera pas intégré à la logique de décision, il sera difficile, voire impossible, pour les gestionnaires d’infrastructures routières et de leurs équipements de gérer leur patrimoine à la fois de manière globale et pérenne. À terme, des dépenses bien supérieures au coût de diagnostic seront inévitables : selon un rapport de l’Union routière de France (URF) publié en février 2017, les montants financiers en cas d’entretien déficitaire peuvent dépasser 10 fois ceux de l’entretien régulier.

Un investissement d'avenir

Garantir un état optimal des routes et de leurs équipements est indispensable pour assurer la sécurité des usagers de la route. Ainsi, des panneaux de signalisation aux messages identifiables et dégagés de toute végétation, des marquages au sol rétro-réfléchissants et continus, des glissières de sécurité correctement fixées sont autant d’éléments qui repoussent les risques d’accident.
À l’heure où les constructeurs automobiles lancent leurs premiers modèles de véhicules autonomes (VA) et que les contours de la route de demain se dessinent avec eux, entretenir le patrimoine routier d’aujourd’hui, c’est faciliter le déploiement à venir de ces nouvelles formes de mobilité.
En effet, pour circuler correctement, les VA effectuent une lecture de la route : le marquage au sol et les panneaux de signalisation leurs servent ainsi à se repérer, à se positionner, à ajuster leur vitesse... « Si notre cartographie n’est pas à jour, bien évidemment, il y a des zones où les véhicules autonomes ne pourront pas circuler », explique Jean-Yves Santigny. « Si notre signalisation horizontale ou verticale n’est pas conforme à un certain nombre de normes et de savoir-faire, alors ces mêmes véhicules ne sauront pas correctement les interpréter et donc évoluer en toute sécurité.» De la fiabilité de l’entretien des routes et de ses équipements dépendra la fiabilité des prochains VA.

Réglementation et solidarité

En janvier 2016, l’Idrrim annonçait la création de l’Observatoire national de la route (ONR) avec l’objectif d’en faire un outil de référence pour l’analyse globale et affinée du patrimoine routier français. Depuis, l’ONR a publié plusieurs rapports, études et méthodes. « Ces guides sont intéressants car ils ont été établis par des professionnels ayant une excellente connaissance technique des sujets traités », ajoute Jean-Yves Santigny. « Cela nous permet de développer sur le terrain la finesse dont nous avons besoin et nous offre une aide à la réflexion dans notre travail quotidien. »

Toutefois, la France doit aller plus loin. Si les outils techniques et la méthodologie existent, c’est d’indicateurs communs et d’une répartition plus équitable des moyens dont les infrastructures routières et leurs équipements ont besoin.

Actuellement, aucune obligation ne pousse les départements français à recourir à un diagnostic concernant la qualité et l’état de vieillissement de leur patrimoine routier. Cela a pour conséquence qu’un usager, en passant d’un département à l’autre, passe en même temps d’une route en bon état à des installations à risque. Grâce à une réglementation nationale adaptée, des comparaisons pourraient être établies sur les niveaux d’entretien des équipements de la route réalisés dans chaque département. Pourquoi ne pas imaginer que les collectivités les plus riches (et bénéficiant du patrimoine routier le mieux entretenu) puissent aider financièrement les plus « pauvres » dans la remise à niveau de leurs infrastructures routières ?

Pour une gestion durable et pérenne

Si le développement durable induit des pratiques plus respectueuses de l’environnement (choix de peintures à l’eau, véhicules de maintenance électriques, politique zéro gaspillage, tri sélectif...), il implique également un mode de gestion visant la pérennité du patrimoine routier et de ses équipements autant que l’optimisation des ressources ou la sécurité des usagers. Il est un facteur déterminant d’infrastructures routières habilement  gérées sur le long terme.

Pour Jean-Yves Santigny, qui travaille activement en Côte-d’Or à la gestion durable des infrastructures routières du département, « cela ne coûte pas plus cher de rendre les marquages au sol plus lisibles, les routes plus pérennes, la conduite plus sécurisée, les choix de maintenance plus rationnels, etc. C’est avant tout une question de méthode et de vision globale de l’ensemble de ces problématiques. »

Mettre les technologies existantes au service de la réappropriation du patrimoine routier et de ses équipements, intégrer le diagnostic à toute logique de décision, optimiser les coûts en préférant entretenir en amont plutôt que de remplacer en aval sont autant de pratiques vertueuses qui peuvent redonner ses galons au modèle routier français. Dans une logique sociétale durable, la bonne gestion de l’argent public, qui passe aussi par le suivi et l’entretien adapté du patrimoine routier et de ses équipements, va dans le sens de l’intérêt général.