De la bonne maintenance des feux tricolores

Équipement essentiel pour la régulation du trafic routier, les feux tricolores équipent d'année en année de plus en plus de carrefours, particulièrement en zone urbaine.

Ils permettent de gérer les flux des différents usagers de la route à l'échelle d'une intersection comme d'une agglomération, il est indispensable de les maintenir dans un état de fonctionnement optimal. Pour cela, maîtres d'ouvrage, gestionnaires et exploitants d'infrastructures routières équipées de feux tricolores peuvent recourir à un ensemble d'outils et de règles de maintenance qu'il convient de rappeler.

Des normes actualisées

Refondue en mars 2018 à la vision des pratiques de collectivités importantes en matière de maintenance des feux tricolores et des préconisations des équipementiers et des mainteneurs, la norme NF P99-050 regroupe un ensemble d'indications sur les travaux et tâches à effectuer pour maintenir une installation de feu(x) tricolore(s) en conformité. Cette norme, portant sur les principes de maintenance des carrefours à feux, « permet de définir les actions de maintenance et leur périodicité, explique Christophe Damas, chargé d'étude carrefours à feux et régulation du trafic urbain au Cerema. Elle liste les différents niveaux d'état de service et précise les délais d'intervention à travers notamment des terminologies et des définitions précises ». En outre, la NF P99-050 offre au gestionnaire d'équipements SLT (Signalisation lumineuse tricolore) des clés et éléments de compréhension afin de rédiger un cahier des charges précis, prévoyant les opérations essentielles de maintenance dès la phase de conception du carrefour. Yves Laugel, chef de service du SIRAC à Strasbourg, qui gère les 570 à 580 carrefours à feux que compte la métropole alsacienne, voit ainsi cette norme comme « un guide et très bon outil à l'intention des maîtres d'oeuvre afin que chaque partie dispose des mêmes définitions et de la même approche en termes de maintenance ». Actuellement en cours de révision, la norme NF P99-060 porte plutôt sur le niveau de qualité exigé pour les équipements SLT tout en proposant un ensemble de recommandations concernant les différentes phases d'élaboration d'un carrefour à feux.

Parmi les nouveautés de la NF P99-050 mise à jour : une harmonisation du vocabulaire technique, indispensable à une meilleure compréhension et communication entre les acteurs du secteur de la SLT ; l'ajout d'exemples plus illustratifs concernant l'état sécuritaire des installations ; des indications plus précises sur les délais et les familles d'intervention, etc. A également été développé le dernier chapitre portant sur la sécurité et les habilitations, avec des indications et recommandations sur le travail en espace confiné ou le travail en hauteur notamment. Autre nouveauté, les opérations de maintenance s'appliquant aux dispositifs sonores pour les personnes malvoyantes qui, à présent, sont considérés au même titre qu'un signal lumineux, afin que la maintenance du sonore soit aussi exigeante que celle du visuel. Toutefois, malgré l'obligation depuis 2006 pour les gestionnaires de voiries d'en équiper chacun des feux tricolores installés sur les carrefours dont ils ont la charge on constate encore que certains exploitants ne sont pas suffisamment au courant de la norme en vigueur. Il n'est pas rare que des équipementiers reçoivent des réclamations de la part de personnes malvoyantes ou d'associations concernant des matériels encore non équipés de dispositif sonore, pourtant obligatoires sur les nouveaux équipements comme sur les anciens.

Deux approches de la maintenance

Selon Bernard Ritsch, du département technique de la ville de Strasbourg, il est important de bien différencier la maintenance curative, correspondant aux interventions à effectuer lors de pannes ponctuelles, de la maintenance préventive, à savoir les visites régulières réalisées sur les installations. Spécificité strasbourgeoise : la quasi-totalité de ces opérations de maintenance sont effectuées par une régie dont le personnel est formé à intervenir pour tout type de maintenance sur les équipements SLT, du nettoyage des lampes à la programmation des contrôleurs de carrefours à feux. La régie est en outre supervisée 24h/24h et 7j/7 par un poste de surveillance central duquel des opérateurs décident du degré d'urgence des interventions en fonction de critères de priorisation précis (vétusté des équipements, chantiers en cours, carrefours et usagers concernés, etc.). « Cette organisation et le fait de pouvoir faire appel à notre propre personnel nous permet d'avoir une totale autonomie sur l'entretien de nos installations », estime Yves Laugel. Concernant l'approche préventive du SIRAC, un check-up complet de chaque installation est réalisé tous les ans et basé sur 16 points de contrôle : de l'orientation des feux à la fiabilité du parafoudre, en passant par le disjoncteur (sécurisation électrique), les mesures de terre ou encore les fixations du boîtier lumineux... Si la maintenance préventive est la plus simple à réaliser selon Yves Laugel, via une tournée générale des installations de la métropole, le suivi curatif s'avère plus complexe : « Pour cela nous réalisons avec nos responsables d'ateliers un bilan mensuel des interventions effectuées, leur nature, leur fréquence au cours du mois et leur efficacité en termes de résolution de la panne. Car le nombre d'équipements est en expansion permanente tandis que ni le nombre de nos agents ni le montant de notre budget annuel n'augmentent, l'objectif est aussi de limiter le nombre d'interventions ».

En amont de ces deux approches, peut s'ajouter la maintenance prédictive, basée sur la durabilité estimée des équipements indiquée par les constructeurs. Ici, l'objectif est d'anticiper une éventuelle panne avant qu'elle ne survienne et de remplacer les matériels susceptibles d'être défaillants lorsqu'ils s'approchent du moment de rupture. Historiquement appliquée par le secteur industriel, la maintenance prédictive commence à infuser dans le domaine des travaux publics. De plus en plus d'équipementiers et de fournisseurs de services livrent ainsi à leurs clients des DIUO (Dossiers d'intervention ultérieurs aux ouvrages) qui permettent d'appliquer aux équipements comme les feux tricolores les principes du MTBF (Mean Time Between Failure – durée moyenne entre pannes) et du MTTR (Mean Time To Repair – temps moyen jusqu'à réparation). Le coût global de maintenance, comprenant les interventions de maintenance prédictive, s'en alors trouve directement impacté, de l'ordre de 20 à 30% de moins, les pannes éventuelles étant anticipées et donc évitées et la durabilité des équipements augmentée. Cette maintenance prédictive s'applique essentiellement aux éléments dynamiques et électroniques du feu tricolore : les LED, les batteries secondaires et certains composants du contrôleur se dégradant du fait des conditions météorologiques. Le support, dont la durée de vie moyenne est généralement de 30 ans, se voit plutôt appliquer une maintenance préventive (nouvelle peinture tous les dix ans afin d'éviter la corrosion et contrôle régulier des éléments de maintien) avant d'être idéalement remplacé au bout de 28 ans pour éviter un éventuel problème lié à sa vétusté générale.

Retour à Strasbourg où, en parallèle à ses diverses actions de maintenance, le SIRAC a choisi de privilégier le critère qualitatif dans le cadre de ses marchés d'acquisition. Ainsi, lors du jugement des offres, 60% de la note revient à la partie technique quand les quarante autres correspondent à la partie prix. « Il est primordial que le matériel soit de bonne qualité, afin de lui assurer une durée de vie plus longue, explique Yves Laugel. Cela simplifie également les conditions d'intervention sur les équipements, facilite les opérations de maintenance et permet de diminuer le temps passé sur les équipements et donc de baisser leurs coûts d'entretien ». Parmi ses recommandations, Christophe Damas rappelle aussi l'importance de la conception de l'environnement autour du feu tricolore qui, pensée intelligemment dès les phases d'étude et d'élaboration du carrefour et de sa géométrie, doit permettre d'optimiser son accessibilité et à terme d'en simplifier la maintenance. Il insiste enfin sur l'intégration des opérations d'entretien et de leur coût global directement dans le budget initial d'aménagement d'un carrefour à feux, notamment car, explique-t-il « la plupart des contentieux liés à la défaillance d'un équipement comme les feux tricolores, découle d'un mauvais entretien de ce même équipement... ».

De nouveaux types de maintenance

À Strasbourg comme dans 25 autres villes françaises disposant aujourd'hui d'un réseau de tramway (dont Bordeaux, Montpellier, Paris, Grenoble, Lyon, Nantes, etc.), l'installation de feux tricolores à de nombreux carrefours se fait essentiellement dans un objectif de performance et afin d'assurer la priorité aux transports en commun (en particulier bus et tramway). « La performance du véhicule de transport collectif est l'objectif premier des feux tricolores dans les métropoles qui concentrent aujourd'hui 85% de ce type d'équipement », précise Christophe Damas. Particulièrement plébiscité par les collectivités, la régularité des transports collectifs – qui garantira leur utilisation par les usagers - implique la mise en place d'un système de priorité au feu pour les lignes de bus à haut niveau de service. Équipés d'un système de prise en compte et de détection de la position des bus et de leur vitesse d'approche (par boucle magnétique au sol ou par GPS), les feux tricolores permettent dans le même temps de gérer les conflits aux intersections entre les véhicules de transport collectif et les autres usagers, notamment les piétons qui empruntent les carrefours.

Alors que certains systèmes de prise en compte permettent d'assurer une priorité quasi-absolue aux flottes de bus et de tramways, leur efficacité à long terme implique un niveau de maintenance particulièrement exigeant. Il y a quelques années encore, les feux tricolores fonctionnaient de façon assez basique. Aujourd'hui, ils possèdent des éléments de plus en plus spécifiques : des outils de transmission de position pour les bus ou les tramways, des équipements de communication reliant les contrôleurs à un poste de pilotage central, des capteurs, radars, bornes wifi, boîtiers sonores, etc. À mesure que les réseaux de feux tricolores se développent, se densifient et s'étendent, s'observe ainsi une diversification importante des matériels et de leurs composants à entretenir. Plus de types de maintenance c'est ainsi plus de métiers, de personnels formés et des exigences nouvelles qu'un exploitant est en droit d'exiger d'un mainteneur.

Maintenance et prospective

À la maintenance du carrefour à feux et de ses installations précède le choix des matériels qui l'équiperont. Là aussi, le gestionnaire doit porter une attention particulière au fait que chaque équipement soit bien conforme aux normes produits en vigueur (dont le marquage CE), aussi bien s'agissant des signaux et dispositifs lumineux que des contrôleurs de feux ou encore les automates qui les commandent. Des impératifs de conformité qui prennent tout leur sens au regard de nouveaux types de maintenance induit notamment par le déploiement à venir de véhicules connectés et autonomes. Alors que les tests in situ de ces véhicules se multiplient dans les métropoles, il sera primordial selon Yves Laugel de faire les bons choix techniques en matière d'équipements de signalisation tricolore : « il s'agira d'éviter de déployer des quantités d'équipements nouveaux que l'on ne se saura ou que l'on ne pourra maintenir parce que l'argent public se fait de plus en plus rare, explique-t-il. De ces mêmes choix techniques découlera également la question du délais d'intervention en cas de panne sur une installation tricolore, délais qui devra être à la mesure de l'engagement que nous prendrons en termes de service rendu aux usagers qui feront le choix d'acquérir un véhicule connecté et/ou autonome ».

Considérés au regard de la loi comme des « matériels de sécurité », les feux tricolores et leurs contrôleurs doivent en outre bénéficier d'une vigilance particulière apportée à leur sécurisation informatique tandis que se multiplient les unités de bord de route (UBR) et les dispositifs d'échange de données entre les équipements de la route et les futures véhicules connectés.. Christophe Damas rappelle ainsi la vulnérabilité de ces équipements face au piratage : « l'agence nationale de la sécurité informatique a formulé de nouvelles exigences de contrôle et des mesures de sécurité renforcées que doivent mettre en place les agglomérations qui possèdent un réseau centralisé et des terminaux de gestion globale des feux tricolores ». Face à l'augmentation massive des données générées dans le domaine de la route, il recommande ainsi à ces dernières de mettre en place des protocoles et des interventions de maintenance nouvelles appliqués aux centres de traitement des données et de téléguidage du réseau. Ces données, notamment générées par des unités de bord de route accolées aux dispositifs de signalisation tricolore, transitent par des serveurs avant d'être transmises à des véhicules de plus en plus connectés, des centres de pilotage du trafic routier, des applications mobiles, etc. Afin de respecter les règles de la RGPD qui s'y appliquent (Règlement général sur la protection des données, avril 2016), il est nécessaire pour les collectivités, maître d'ouvrage et gestionnaires de ce type d'équipement de mettre en place des guides de mesure de certification. Mais également d'appliquer la norme CEI 62443 (ISA-99), relative à la cyber-sécurité des installations industrielles et de respecter les règles de l'ISO/CEI 270001 (norme internationale de sécurité des systèmes d'information).

Ces mises en conformité sont d'autant plus essentielles au regard de l'émergence de nouvelles formes de mobilité, plus résilientes, multi-modales, collectives, etc. Car l'un des principaux arguments des véhicules connectés et autonomes est d'améliorer la sécurité routière (détection de bouchon, d'accidents, de violation de franchissement, gestion de vitesse d'approche au feu...) et que les systèmes de transports collectifs permettent d'assurer des niveaux de service de plus en plus élevés, leur efficacité et leur déploiement à plus grande échelle dépendra à coût sûr de la fiabilité des équipements sur lesquels ils s'appuieront. L'état de fonctionnement optimal de ces équipements, dont les feux tricolores, ne pourra être garanti que par une maintenance régulière, exigeante et adaptée.